Conscient que toutes
ses expériences picturales ont leur importance dans son évolution, Deyrolle ne
rejette rien du passe. Sans trop se préoccuper des théories, il additionne
chaque nouvel élément acquis, le passant au crible de son jugement. Cette indépendance
d’esprit vis-à-vis des doctrines lui laisse une grande liberté dans son travail
de peintre, liberté tempérée cependant par sa rigueur personnelle. Même le
dogme, sacro-saint pour certains, de la non-figuration n’est plus pour lui un problème
dès lors qu’il atteint son plein épanouissement :
« Je me suis
rendu compte qu’une non-figuration systématique n’était pas l’essentiel, et que
toute œuvre valable était celle ou – incontrôlé au départ – un sentiment était
enclos. »
Mais pour en
arriver là, le chemin a été long. Jeune artiste figuratif au début des années
quarante, Deyrolle avait alors repris à son compte le concept d’ « image
visuelle primitive» et d’ « image mentale » expose par Sérusier dans son ABC
de la peinture. C’est-à-dire sur le processus de transformation du « motif »
naturaliste envisagé par le peintre, au départ, en cette image métamorphosée
qu’il va essayer de recréer sur la toile : une première simplification s’impose
du fait même de la représentation sur la surface plane à deux dimensions du
tableau; et cette réduction obligée de l’image visuelle primitive s’ajoutent
des interpositions dues à la mémoire, aux sentiments individuels éminemment subjectifs
(beauté ou laideur, idée de l’harmonie … ), enfin aux états psychologiques et
physiologiques de chacun (« la sensibilité ») variables par définition:
tous ces facteurs d’importance inégale modifiant l‘image visuelle primitive au
point de la transformer en une « image mentale » que l’artiste va s’efforcer de
matérialiser sur le papier ou sur la toile tout au long de l’exécution de l’œuvre.
Ayant choisi
ensuite de s’exprimer sur le mode abstrait, il n’est plus acceptable pour
Deyrolle – surtout après 1948 – qu’une composition, qu’il veut résolument
abstraite, résulte de cette image visuelle primitive peu ou prou figurative, même
si cette image est transformée au point d’être indécelable pour un non initié.
Ce n’est qu’après beaucoup de tâtonnements et de persévérance que Deyrolle
trouvera vers 1955 ce maillon qui lui manquait dans la chaine abstraite: « Je
crois que l’abstraction est à la base de sentiment. Ce qui m’a été difficile,
c’est d’en prendre conscience. »
Depuis les années
soixante, il n’importe plus à Deyrolle que « le choc » à
l’origine d’une œuvre soit décelable ou non, ni même
que
le sentiment éprouvé par le spectateur
soit analogue au sien. Ce qui maintenant lui apparaît déterminant est l’instauration
entre lui et le spectateur d’un rapport de connivence ou l’identification
figurative n’entre pas en ligne de compte. Mais pour cela, le regard du
spectateur doit être actif. Au-delà de cette communication discursive due au « sujet
» dans la peinture figurative, le tableau abstrait permet une relation plus
intuitive. Et même quand une œuvre provoque chez certains des «associations»
sans lien avec l’impulsion première de l’artiste, le peintre y voit la preuve
que l’œuvre possède l’éloquence propre au langage abstrait.
« Ce que je
cherche, c’est, par la multiplicité et les combinaisons de formes, à atteindre à
de multiples significations: carré, oiseau, chaleur, amitié, que sais-je ?..
Lorsque la vision devient si multiple, on en vient tout naturellement à ne plus
attacher d’importance au sujet présumé. »
Chez lui, il
semble bien que cette façon d’opérer garantit une invention constante et une
grande diversité dans les compositions. En outre, Deyrolle prend bien garde à
ne pas s’installer dans une manière répétitive; s’il développe parfois le même thème
formel, il passe en général a un autre sans avoir épuisé le précédent. Il échappe
toujours à l’écueil des séries de peintures stéréotypées, comme à toute
exploitation abusive d’une trouvaille plastique.
A l’origine d’un
tableau, spécialement à partir de la troisième période, il y a un désir
(volontairement informulé), ou la nécessité d’exprimer un sentiment (pas trop défini).
Deyrolle ne fait plus alors de dessins préparatoires ni d’esquisses comme
pendant les deux premières périodes. Maintenant, l’élaboration du tableau ne précède
pas la réalisation mais se constitue progressivement au cours du travail sur la
toile.
S’il avait été
possible de l’observer dans son atelier, on l’aurait vu au milieu d’une dizaine
de tableaux qu’il conduisait de front; parfois même, reprenant une peinture inachevée
et abandonnée depuis des mois ou des années. On l’aurait vu tendre lui-même la
toile de lin naturelle sur un châssis de bois, et y tracer directement quelques
traits au fusain. Venait ensuite la phase de préparation du support: étalement d’une
première couche d’apprêt, sorte d’enduit liquide (compose d’eau chaude, de
colle «Totin» et de blanc de Meudon) qu’il avait aussi préparé lui-même ; une
fois sec, l’enduit estompait légèrement le dessin mais le trait au fusain
demeurait encore assez apparent.
« Je reprends le
dessin, je le précise, je cerne un peu ma pensée jusqu’à ce que la toile soit
recouverte de deux ou trois petites couches de préparation. Au fur et à mesure
que les choses se précisent, j’arrive à concevoir de plus en plus la couleur. »
Lorsqu’il juge le
dessin au point, Deyrolle indique les valeurs à l’aide de hachures diverses à
la craie et au fusain. La figure 1 montre une toile à ce stade d’exécution, la
figure 2 présentant le tableau terminé. Particulièrement en 1958 et 1959,
Deyrolle photographie parfois la composition pour conserver une trace de cet état
transitoire que la couleur une fois posée va faire disparaitre en partie.
Deyrolle
s’astreint volontiers à toutes ces taches matérielles, car c’est au cours de ce
lent processus d’approche, ou le travail physique occupe une place importante, que s’opère l’élaboration de l’œuvre. Le peintre ne
cherche donc plus à matérialiser une représentation décidée ou projetée à
l’avance mais, au contraire, il laisse aux formes et aux couleurs la possibilité
de s’imposer à lui tout naturellement. Conserver la spontanéité de ce désir intérieur
préalable lui semble essentiel.
« II m’est très
difficile de décrire le sentiment qui est à l’origine d’une peinture. Personnellement,
je ne cherche jamais à le connaître (ce sont des amis, le plus souvent, qui m’entrainent
dans cette recherche). Pendant le travail, cela aurait plutôt tendance à me gêner
en cherchant, pour m’y conformer, à introduire (ou à retirer) une allusion
figurative qui devrait (ou ne devrait pas) s’y trouver.»
« Du reste, ce
n’est que lorsque la toile est terminée qu’on peut discuter à fond couleurs,
formes, dynamisme. Pendant Ie travail, Ie raisonnement n’intervenant pas
constamment, tout semble intuitif. »
Si Deyrolle
souhaite une participation profonde du spectateur, il ne veut pas que l’opinion
de celui-ci soit plus ou moins faussée par des éléments que le peintre ne juge
pas pertinents pour une appréciation picturale du tableau. Cette préoccupation
conduit Deyrolle à ne pas fournir d’indices risquant d’interférer avec des problèmes
plastiques ne les concernant en rien. Nous avons vu qu’il ne date jamais ses
tableaux sur la toile elle-même.
Le problème des
titres est encore plus difficile à régler… Donnés par le peintre pour désigner
plus commodément les œuvres, les époques ou les séries, ils sont seulement
utilitaires pour distinguer facilement un tableau ou un groupe de tableaux.
Dans cette perspective, les intitulés
« Composition»
ou « Sans titre », s’ils ne sont pas inducteurs, ne sont pas non plus d’un
grand secours ! Au début, Deyrolle donne donc à ses tableaux un titre
volontairement anodin, « insignifiant », se rapportant à quelque caractéristique
de forme ou de couleur (Longue, Deux pointes blanches, Equilibre, Le
Fond vert, etc.). Parfois encore, le titre est plus énigmatique, saugrenu,
jeu de mots au fragment de texte tire d’un livre ouvert au hasard (Le Cosmos
est dans la cuisine, velu d’air, II faut choisir fa nuit, La Grande
Haleine, De s’y appesantir, etc.). Malgré tout, le public a tendance à
vouloir établir un rapprochement entre le titre et la composition abstraite.
Aussi Deyrolle a l’idée, vers la fin de l’année 1951. De « baptiser» ses
tableaux de prénoms glanés ça et là (il montre une certaine prédilection pour
les noms rares ou inusités de saints bretons ou carolingiens, mais élimine les prénoms
trop typés au trap suggestifs comme Carmen, Cléopâtre au Napoléon…). Bientôt,
il systématise la nomenclature des toiles en leur donnant des noms commençant
par A et B pour 1956, C et D pour 1957 et F pour 1958 ; Enfin, tous les
tableaux d’une même année portent les noms ayant la même lettre initiale :
G pour 1959, H pour 1960, etc…
Retracer dans sa continuité l’évolution de
Deyrolle, c’est aussi retrouver l’enchaînement des différentes configurations
de son inventaire pictural : partant d’un thème repéré, il est possible de
suivre son expansion, par un jeu de relais, jusqu’au moment de la rupture où le
peintre déchiffre – défriche – un territoire encore inexploré. L’organisation
des divers éléments, leur développement, leur succession, leur articulation,
constituent véritablement la structure de l’œuvre.
Lorsque Deyrolle
choisit l’abstraction en 1944, il commence à privilégier certaines formes
encore encombrées de références figuratives inconscientes, et trop souvent
chargées de réminiscences. Pour voir surgir des agencements formels plus
personnels, il faut attendre la découverte de Gordes, qui semble agir comme un
révélateur, et au cours de la deuxième période, l’adoption de la technique de
la tempera qui va permettre de l’épanouissement d’un don certain de coloriste.
Mais la « grammaire plastique » deyrollienne s’affirme surtout
pendant la troisième période (au cours de laquelle sont développés et
approfondis les principaux thèmes) qui de plus va connaître une nouvelle
impulsion en 1960 au moment de la découverte du baroque bavarois.
D’un point de
vue général, Deyrolle applique alors pour ses compositions « la logique
picturale abstraite » telle qu’elle a été définie par Léon Degand dans Langage et signification de la peinture.
En résumé, la surface plane à deux dimensions du tableau est étrangère à toute
illusion de profondeur ; le peintre se voue au seul jeu des surfaces
situées sur un même plan : celui de la toile tendue sur un châssis ;
n’importe quelle partie du tableau peut devenir le principal pôle d’attraction
des forces plastiques ; le « vide » compte autant que le
« plein », la faille que l’étendue ; les bords du tableau ne
limitent pas seulement la superficie mais ils ont aussi un rôle actif en
participant au jeu des forces qui s’exercent au sein de la surface plane :
ils modifient, repoussent, atténuent, attirent ou renforcent ; les trois principaux
constituants du tableau (lignes, formes, couleurs) répondent tous au caractère
plan de la surface, existent indépendamment de l’idée de « haut »
et de « bas », et sont à
considérer d’une part en fonction des bords, et d’autre part en fonction de
leurs rapports réciproques…
Plusieurs années
plus tard, Deyrolle ayant pris conscience qu’une œuvre abstraite n’avait de
sens pour lui que si une émotion était à son origine, il considère avec plus de
détachement ces règles d’une « cohérence abstraite » ; il est
aussi amené à moins se soucier des traces figuratives pouvant occasionnellement
réapparaître ici où là.
Pendant la dernière
période, Deyrolle réalise une sorte de synthèse de toutes ses recherches
plastiques, et sa peinture atteint son apogée. Ses tableaux traduisent l’état
d’harmonie qu’il a su atteindre, et manifestent alors sa relation fervente à l’univers.
Si Deyrolle nous
rend sensibles sa nature profonde, sa personnalité, s’il représente aussi pour
nous, en cette fin du XXème siècle, l’art de son époque et de son
milieu, il exprime encore quelques éléments propres à l’art universel. Ce qui
nous rappelle les trois composantes du « style », énoncées par Sérusier dans ABC
de la peinture et qui recoupent d’ailleurs les « trois nécessités
mystiques» constituant le « Principe de la Nécessité Intérieure » exposées par
Kandinsky dans son ouvrage Du Spirituel dans l’Art. Et dans la
mesure où l’on admet les hypothèses de Sérusier et de Kandinsky concernant ces
trois exigences considérées comme essentielles a une œuvre d’art, la notion si
rebattue de « modernité» par opposition a celle de « tradition » n’a alors plus
guère de sens …
II nous semble
que chez Deyrolle, cet « élément d’art pur et éternel […] qui n’obéit à aucune
loi d’espace ni de temps », consiste en cet emploi caractéristique et constant
du trait qui forme véritablement l’ossature de ses compositions à partir de l’époque
de Gordes. Trait qui se rapproche de ce que Klee définit comme la ligne intermédiaire
», qui n’est ni ligne ni surface, mais combinaison des deux. Deyrolle aime particulièrement
ces « effets de plan résultant des lignes circonscrivant une surface ». Fil
conducteur de la composition, cette ligne « intermédiaire » devient l’élément
premier, trace du geste à l’articulation de la forme et de la couleur. Cette ligne
peut être mise en relation avec l’un des motifs fondamentaux de l’art universel
: le zigzag. Ce thème que l’on retrouve toujours et partout – que ce soit le lie-wen
[éclair et tonnerre] en Chine, la grecque dans les civilisations hellénique,
précolombienne et africaine, ou dans les motifs qui en dérivent, comme celui de
l’escalier (présent aussi bien en Asie, en Afrique, en Amérique que dans le
haut Moyen Age européen), comme l’arabesque musulmane, ou encore comme l’entrelacs
irlandais ou viking … – est bien l’une «des formes d’une qualité supérieure,
langage commun à toute intelligence humaine ». Et comme le précise Sérusier : «
Sans quelque trace de ce langage universel, il n’existe pas d’œuvre
d’art. »
Le
cercle, également l’un des principaux éléments du langage universel employé de
tout temps par les hommes, à une fonction et une valeur magique dans le monde
celte. Omniprésent dans les peintures des quatre dernières années, sa puissance
est encore renforcée du fait de son inscription dans le format carré si souvent
utilisé par Deyrolle pour ses tableaux à partir de 1957.
« Le cercle est
d’abord un point étendu ; il participe de sa perfection. Aussi le point
et le cercle ont-ils des propriétés symboliques communes: perfection, homogénéité,
absence de distinction ou de division. S’il n’est pas besoin d’y insister, on
ne répétera par contre jamais assez qu’un tel symbolisme n’est d’aucune valeur
tant qu’il n’a pas fait l’objet d’une authentique expérience humaine. [ … ]
« La figure circulaire adjointe à la figure carrée
est spontanément interprétée par le psychisme humain comme l’image dynamique
d’une dialectique entre le céleste transcendant auquel l’homme aspire
naturellement et le terrestre où il se situe actuellement, ou il s’appréhende
comme sujet d’un passage à réaliser des maintenant grâce au concours des
signes. »
De toute évidence, cette prédilection pour le zigzag et
pour le cercle correspond à quelque chose de très profond chez Deyrolle, et qui
va bien au-delà de la simple rationalité. Quelle est la part de ses origines bretonnes,
du long séjour qu’il fit au Maroc, de la présence des objets d’art primitif
dont il aimait s’entourer, de l’inconscient… ? La réapparition du cercle dans
l’œuvre de Deyrolle à la suite du rêve éveillé et après une éclipse de plus de
quinze ans apparaît ici très révélatrice.
Dans leurs écrits théoriques et pédagogiques, Klee et
Kandinsky démontrent l’importance plastique du point, de la ligne et des forces
extérieures qui transforment le point en ligne – la diversité des lignes
dépendant du nombre de ces forces et de leurs combinaisons. C’est au moment où
il aborde l’abstraction que Deyrolle à connaissance de ces questions… à moins
que ce soit leur divulgation qui contribue à se décider à devenir abstrait ! Le
fait est que c’est Domela (ancien membre du mouvement « de Stijl » constitué
autour de Piet Mondrian et de Theo van Doesburg) qui lui communique alors Le
manuscrit de 1929 dans lequel les problèmes relatifs au « point », à la «
ligne » et au « plan », éclairés par des illustrations, sont posés et traités
succinctement mais avec rigueur :
« C’est Domela qui m’a fait comprendre ce qu’était véritablement
l’abstraction; que ce n’était pas un procédé extérieur, mais quelque chose de très
vivant qui pouvait tout de même prendre ses sources dans la nature. »
Parallèlement Deyrolle, depuis le début des années
quarante et la découverte des écrits de Sérusier, est passionné par le Nombre
d’or. Il apprend alors dans les ouvrages de Matila C. Ghyka et de J. W. Power les
correspondances entre la nature et les arts. Valéry explique ainsi la
fascination exercée par le Nombre d’or sur certains peintres : « l’éternel désir
d’enchaîner la morphologie physique et biologique à la science des formes créées
par la sensibilité et le travail humain ; le besoin de comparer et de conjuguer
les structures et architectures naturelles et les constructions de l’artiste,
la mathématique qui paraît ou qui point dans les premières et les formules,
arbitraires en apparence, qui servent dans les arts […]
« L’équilibre entre le savoir, le sentir et le
pouvoir est rompu maintenant dans les arts. L’instinct ne donne que des
parties. Mais le grand art doit correspondre à l’homme complet. La Divine
Proportion est la mesure généralisée.»
Se fondant sur cette « Divine Proportion », Deyrolle,
dans ses entrelacs de « point en mouvement », cherche la loi d’harmonie
initiale en œuvre dans tous les aspects de l’univers, sous toutes ses formes.
Mais suivant le conseil de Valéry (le même que celui de Sérusier), il n’utilise
pas mécaniquement, « aveuglement et brutalement », le Nombre d’or ; il le
regarde plutôt « comme un instrument qui ne se passe pas de l’habileté et de
l’intelligence de l’artiste. Au contraire, il doit exciter l’artiste à
développer ces qualités. »
« L’artiste abstrait affirme que les formes qu’il crée ont une signification
plus que décorative en ce qu’elles répètent avec des matériaux appropriés et
sur l’échelle qui leur est propre, certaines proportions et certains rythmes
qui sont inhérents à la structure de l’univers, et qui gouvernent la croissance
organique, y compris la croissance du corps humain. Accordé à ces rythmes et
proportions, l’artiste abstrait peut créer des microcosmes qui reflètent le
macrocosme, il peut tenir le monde, sinon dans un grain de sable, du moins dans
un bloc de pierre ou dans un assemblage de couleurs. on n’a pas besoin des
formes naturelles – des formes accidentelles créées dans le développement de l’évolution
du monde – parce qu’il a accès aux formes archétypales qui sont sous-jacentes à
toutes les variations fortuites que présente le monde nature. »
Par une succession de traits droits ou courbes, dans une « dérive » au
tempo plus ou moins rapide, Deyrolle parvient à donner l’impression d’une séquence
de mouvement perpétuel, mais une séquence rythmée qui fait ressortir l’accord
avec le monde organique. La ligne brisée, d’autre part, contient déjà l’amorce
d’une surface achevée : son caractère linéaire est en quelque sorte estompé par
les images de plans qu’elle circonscrit à travers la toile au moyen de son
propre tracé. Cette ambivalence engendre une légèreté des formes, rendue plus
vive encore par la délicatesse de matière que donne ici la transparence de la
tempera.
Dans sa peinture aussi, Jean Deyrolle applique son goût
de la litote, et de cette réserve émane, paradoxalement, une sensation intense
de vie.