Jean Deyrolle va suivre les cours de l’école Art et Publicité durant trois ans.
Parmi les activités libres il choisit la gravure.
Dans l’atelier situé sous les toits de l’école, il apprend les rudiments de la lithographie et de la gravure sur bois ; c’est la qu’il grave et tire lui-même ses premières estampes
En 1930 plusieurs d’entre elles sont présentées au musée Galliera, à l’exposition de l’enfance.
L’œuvre gravé de Deyrolle est le reflet, prolongement de l’œuvre peint. Son résumé aussi : un millier de tableaux pour – ou contre – une centaine d’estampes, 99 exactement : 60 lithographies, quinze linogravures, 13 eaux-fortes, 5 gravures sur bois, 4 enluminures au pochoir, une sérigraphie et un gaufrage, plus les 38 monotypes actuellement recensés.
Les 12 lithographies et les 8 linogravures figuratives qui nous sont parvenues ont été exécutées entre octobre 1929 et juin 1932, dans l’atelier de gravure de Maurice Denonain.
Si presque toujours le lino est préféré au bois, c’est surtout à cause de son coût modique, plutôt que pour la facilité, ou la rapidité du travail.
La première gravure abstraite date de 1946 ; c’est une lithographie pour l’album collectif publié à la suite des manifestations du Groupe de Recherche de la rue Cujas, animé par Domela.
Opéra, 1946 lithographie en noir – 240 x 178 cm 100 épreuves + 20 épreuves HC
En 1949, à l’occasion de sa première exposition à Copenhague, Deyrolle séjourne au Danemark et son ami le sculpteur danois Robert Jacobsen lui fait connaitre le lithographe Christian Sorensen ; c’est ainsi que Deyrolle réalise un album de 6 lithographies et, l’année suivante, un deuxième.
Album 1
Album 2
En 1950, à l’imprimerie, sur une pierre lithographique vierge, il dispose des formes qu’il découpe dans du carton; il ne cherche pas à exploiter les propriétés spécifiques de la pierre, mais l’utilise uniquement comme support. Il encre alors la composition au rouleau, y applique une feuille de papier et, à la main, exerce une pression sur la surface : l’écrasement de l’encre, par le frottage forcément irrégulier sur cette feuille de papier donne des effets fortuits impossibles à reproduire. Une seule épreuve peut ainsi être levée. En ôtant les formes découpées et en appliquant sur la pierre une autre feuille, JD obtient une sorte d’image négative de la composition. Il pose encore ces découpages suivant un ordre différent, où il trace sur la surface de la pierre quelques traits au crayon lithographique. Parfois il ajoute d’autres éléments (ficelles etc…) Une trentaine de monotypes seront réalisés selon ce procédé.
On peut remarquer que c’est le moment où JD abandonne la peinture à l’huile pour adopter définitivement la tempera. c’est le début de la deuxième période, l’époque où ses tableaux sont le plus géométrique. Est ce un pur hasard s’il emploie alors cette technique ? Est ce expérience, délassement, ou éprouve t’il le besoin d’un « jeu » quelque peu aléatoire pour compenser la sévère précision de ses tableaux ? C’est en tout cas le seul exemple où l’oeuvre gravé ne soit pas le contre-pied de l’œuvre peint.
En avril 1951, dans un article de la revue Art d’Aujourd’hui consacré au monotypes de Deyrolle, Charles Estienne fait allusion aux « hasard de la matière » chers aux surréalistes et il rapproche ces monotypes des frottages de Max Ersnt pour « Histoires Naturelles » – que Deyrolle nous révèle-t-il, a beaucoup aimées naguère.
En 1953, la revue Cimaise demande à Deyrolle une linogravure pour la couverture de son premier numéro; continuant sur sa lancée, il en exécute 6 autres dont il tire lui-même plusieurs épreuves d’essai. L’une de ces linogravures servira à l’affiche d’une exposition chez Denise René,
une autre sera éditée à Zurich par Brunnenhofdrucke, quatre resteront inédites;
la troisième période de Deyrolle commence en 1954. En mars, lorsqu’il retourne à Copenhague pour son exposition à la Galerie Birch, il réalise encore quelques monotypes et deux lithographies.
En dehors des 38 monotypes, on dénombre en tout 28 lithographies exécutées chez Sorensen.
Le premier bois abstrait est gravé en 1957 pour la couverture du catalogue d’une exposition. Le second en 1961, ne sera édité qu’à l’occasion de la rétrospective de l’artiste au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, en 1975.
A Milan, dans le même immeuble que la galerie Grattaciello, se trouve une petite imprimerie : Il torchio (la presse); c’est la que JD exécute son toisième album de lithographies lors de l’exposition de novembre-décembre 1963.
Madame Lazard-Vernet, qui prépare l’édition du deuxième volume de Paroles Peintes lui demande une eau-forte. Dans l’atelier de jacques David (peintre-graveur avec qui il a exposé au Salon des Surindépendants de 1945), bénéficiant du matériel mais aussi de la grande expérience de son ami, JD va graver trois eaux-fortes en couleur dont les essais son tirés chez Georges leblanc : c’est l’une d’entre elles, Vigile, qui illustrera le poème de Jean Grosjean dans Paroles Peintes.
En 1966, Denise René propose de publier « Cette Chose » : échange de correspondance, du 5 février au 19 mai, entre JD et Pinget, le peintre répondant à l’écrivain par un dessin. Amicalement assisté par Jean Frélaut, Deyrolle grave chez Lacourière 10 eaux-fortes qui jalonnent 11 textes de Robert Pinget.
A peine a-t-il terminé qu’il entreprend un autre ouvrage sur un texte inédit de Samuel Beckett : Séjour; il choisit le format, le caractère typographique, établit la maquette qui comprend cinq gravures mais sa mort en arrête la réalisation. Après plusieurs mois, le projet est repris : Samuel Beckett, parmi les 32 dessins préparatoires, en choisira 5. Le procédé de reproduction retenu est l’héliogravure plane, à cause de sa fidélité à rendre les dessins originaux; Louis Maccard retravaille les cuivres au burin. Les cinq gravures de Séjour figurent à titre documentaire à la fin de ce catalogue.
En parcourant l’œuvre gravée de Deyrolle, on peut suivre son itinéraire plastique. On peut y découvrir, si présent, si caractéristique, « le sentiment de la nature » dans ses formes, dans son expression, dans sa logique.
A ses gravures, on pourrait appliquer ce jugement – de 1957 – de Léon Degand sur sa peinture :« La peinture de Deyrolle surprend d’abord par sa discrétion. Elle n’arrache pas l’adhésion. Elle la sollicite à peine. Elle la conduit, avec une patience soutenue et une science étonnante des moyens d’action, au plus haut degré d’intensité et elle l’y maintient ferme. De vaste ou de modeste format, elle est d’une amitié sûre et durable. Elle n’abuse jamais de notre faiblesse. Elle répugne aux faux semblants. Si elle ne se livre entièrement qu’à la longue, même au spectateur le plus averti, ce n’est pas par défaut de clarté – rien n’est au contraire plus explicite – mais à cause de sa véritable richesse.» Aujourd’hui, mars 1956
Dans l’oeuvre de Deyrolle, quel que soit son mode d’expression, la plus grande discipline est toujours associée à la plus grande liberté. la pondération des moyens mis en oeuvre renforce leur intensité. Sa poésie est teintée d’un humour très singulier.
Avec sérénité, Deyrolle reconstruit pour lui, pour nous, un peu de ce monde invisible qu’il explore humblement. Il nous révèle une petite partie de ce mystère existentiel poursuivi au plus profond du rêve celtique
texte extrait de « Deyrolle l’oeuvre gravé » par Georges Richar 1975