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Extrait des « notes de cours (1910-1912) » de Sérusier sur une comparaison entre l’art et l’alphabet (publié en annexe, p162, de la troisième édition de l’ABC de la peinture. Paris : Librairie Floury, 1950.

« ABCD signifiant, dans ma pensée, les principes primitifs géométriques et simplificateurs que nous trouvons dans les arts anciens , même sans âges, X Y et Z signifient les petites complications que les décadences introduisent dans l’art : ce sont des équilibres sur des pointes d’aiguilles, qui absorbent l’attention des époques décadentes et nous font oublier les établissements fondamentaux sans lesquels il ne peut y avoir de solidité ».

Wescher (Herta)

Critique d’art d’origine allemande, décédée au début des années soixante-dix. Elle collabore à la revue Art d’aujourd’hui, et simultanément à Cimaise , dont elle deviendra rédactrice en chef en octobre 1955. Toute sa vie elle lutte avec obstination pour que le collage soit considéré comme une forme d’art achevé.

Dans un essai sur Jean Deyrolle, Herta Wescher parle aussi de l’homme :

3Comme Deyrolle est dans sa peinture, il est dans sa vie : indépendant et sincère, communicatif sans parler de lui. Même si on est ami avec lui, on ne sait pas grand chose sur sa personne, sinon qu’il tient à certains principes, à des journées réglées, qu’il est un grand travailleur que guide le sens de la responsabilité envers sa mission artistique. Dans le cadre modeste de son atelier, il vit entouré d’objets précieux d’art primitif dans lesquels il aime probablement une parenté d’esprit qui nous demeure secrète. Aussi décidé qu’il se montre dans ses goûts, il l’est aussi dans ses sympathies et antipathies humaines. Mais ceux qu’il accueille sont toujours pris par son charme personnel, par son humour superbe, prêt à éclater à chaque instant… » [Deyrolle, Cimaise, juin-juillet-août 1956, pp15-20]

Vaucluse & Nature

Après sa période puriste, Jean Deyrolle se sent beaucoup plus libre car il a réussi à éliminer ce que l’on pourrait nommer ses « automatismes figuratifs ». Il peut maintenant concevoir « qu’une non-figuration systématique n’est pas l’essentiel et que toute œuvre valable est celle où – incontrôlé au départ – un sentiment est enclos ». (Jean Deyrolle à Jean Grenier, 1960

Ayant décidé vers la fin des années cinquante de travailler et de vivre dans le Vaucluse, il éprouve souvent une sorte d’émotion panthéiste devant ce qu’il appelle « le spectacle de la nature ». Progressivement il découvre de nouvelles possibilités d’xpressions plastiques tirées (« abstraites ») de certains paysages. Mais pour lui : « L’art véritable a été créé par l’homme mais pas en copiant la nature ». La nature est informelle. Si nous admirons la forêt c’est qu’elle a été façonnée par l’homme. Et une montagne tient sa grandeur du fait qu’un route a été découpée sur ses flancs ». (ibidem)

Avant le travail, ou pendant qu’il est en train de peindre, Jean Deyrolle ne cherche jamais à analyser le sentiment à l’origine d’une peinture. « Cela aurait plutôt tendance à me gêner, soit que je tente alors de me conformer, soit que je m’efforce d’y introduire cette allusion figurative qui ne s’y trouvait pas au départ. » (ibidem)

Et de toutes façons, le « spectacle » catalyseur des sentiments du peintre ne doit pas avoir d’importance pour le spectateur puisque le véritable enjeu du tableau est la communication d’une émotion par des moyens exclusivement plastiques.

« Toiles médiatrices d’espace, toiles de nuit toute ajourées. De la terre, elles ont conservé les senteurs, la lumière, les menus bruits et son grand silence peuplé d’élytres et d’ailes : ocres de Roussillon, rochers de Gordes ou de Ménerbes, pierres des bories, paysages méditerranéens d’une architecture à la fois minérale et sidérale. Tout est là, chez Deyrolle, tapi dans la discrétion même de la couleur : le fauve du Lubéron, les collines par plans superposés, la calme géométrie des toits, la chaleur qui saisit et scintille, la grande écriture des champs, la terre odorante et nue, les signes du temps dans la pierre, les sentiers de garrigue, la nuit limpide et bleue. » (Jean-Pierre Geay, Deyrolle une peinture bien tempérée)

Uhde (Wilhelm)

Critique d’art et collectionneur d’origine allemande (1874-1947). Uhde s’installe en France au début du siècle. Il est dès 1905 l’un des premiers acheteurs de Picasso, de Braque et du Douanier Rousseau. Ses peintures sont mises sous séquestre par les français en 1914, et vendues comme « biens allemands » en 1921. Il commence après la guerre une nouvelle collection (s’intéressant cette fois aux œuvres « naïves » de Séraphine de Senlis, de Bombois, de Vivin…) qui sera presque entièrement dispersée par les nazis sous l’occupation. En 1945, il découvre Jean Deyrolle au Salon des Surindépendants, et lui achète aussitôt des tableaux. A sa mort deux ans plus tard, il possède 25 œuvres du peintre.

C’est Charles Estienne qui, dans son article de 1950 utilise pour la première fois l’expression « époque Uhde » pour désigner les tableaux peints par Jean Deyrolle à partir du moment où, en 1944, il décide d’entrer dans l’abstraction, jusqu’à la découverte de Gordes en 1947 – Ce qui modifie notablement les structures des compositions et a palette du peintre. Les toiles de l’époque Uhde, souvent très sombres, avec des effets de matière, sont intéressantes parce qu’elles sont encore empreintes de figuration, en dépit du désir du peintre, et qu’elles permettent de bien voir son cheminement au début de la voie abstraite.

Titres (les)

Au début, JD donne à sa tableau soit un titre se rapportant à quelque caractéristique de forme ou de couleur : « Longue », « Deux pointes blanches », « Equilibre », « Le fond vert », « Gordes gris », soit un titre inventé ou tiré d’un livre ouvert au hasard : « Epis solaires », « Le cosmos est dans la cuisine », « Comme de l’eau ». Cela dans le but simplement utilitaire de désigner plus commodément les oeuvres, mais aussi es époques ou les séries. Lorsqu’il s’aperçoit que les spectateurs ont souvent tendance à établir des rapports directs entre une composition et son titre, il a l’idée vers 1951, de « baptiser » ses tableau d’un nom de saint, trouvé souvent en voyage ou en visitant de vieilles églises, sur un socle de statue ou dans la liste des anciens évêques d’un diocèse. Bientôt il systématise la nomenclature des toiles en leur donnant des noms commençant par A et B pour 1956, C et D pour 1957, E et F pour 1958. Enfin, tous les tableaux d’une même année portent des noms ayant la même initiale : G pour 1959, H pour 19600, etc.. C’est la seule règle qu’il observe dans l’attribution des titres. On peut encore remarquer une certaine prédilection pour les noms rares ou inusités de saints bretons ou carolingiens, et l’élimination des prénoms trop typés ou suggestifs comme Carmen, Cléopâtre ou Napoléon.

Tempera

La tempera, aussi appelée détrempe , est une technique très ancienne de peinture – déjà utilisée par les primitifs italiens – où la couleur en poudre est délayée, « détrempée », avec un médium à l’eau additionné d’un agglutinant. Suivant la nature de ce liant (colle, oeuf, gomme…) et des autres ingrédients entrant dans la préparation (huile, essence, vinaigre…), et selon leurs proportions, on obtient différentes formes de tempera. Comme Sérusier, comme Magnelli, JD apprécie les peintures qui ne brillents pas, et la tempera lui offre la possibilité d’une matité parfaite. Après avoir fait des essais pendant des années, il met au point sa propre formule, et en mai 1951, il abandonne la peinture à l’huile traditionnelle pour peindre définitivement à tempera. Ce choix provoque un changement notable : ses tableaux présentent désormais des tons plus frais, plus éclatants, à la fois mats et transparents. Pour confectionner 2 litres de medium, JD emploie 8 œufs, 1/2 litre d’huile de lin, 1/2 litre d’acide acétique ou de vinaigre blanc et 1/2 litre d’eau (*). Il obtient une émulsion parfaite en mélangeant d’abord l’huile aux jaunes d’œufs, comme pour faire une mayonnaise (c’est d’ailleurs ainsi qu’il appelle sa préparation); d’autre part, il bat les blancs d’œufs avec de l’eau et le vinaigre additionnés; enfin, il mélange le tout avec un fouet mécanique réservé à cet usage, et met en bouteille? Au moment du travail, il utilise un peu de cette mixture pour détremper et pour lier la couleur en poudre en broyant soigneusement le tout sur le dessus du marbre d’une console ancienne qui lui sert de palette.

Il achète chez Sennelier les couleurs en poudre de la meilleure qualité. Il s’en tient aux huit ou dix tons de base avec leurs variantes claires ou foncées, éliminant les pigments peu solides (comme les laques, les garances, les chromes), et toutes les couleurs dites d’imitation. En général il ne mélange pas les terres et la cadmiums.

  • a titre de comparaison, la recette de la détrempe des bénédictins de Beuron donnée par Sérusier à Maurice Denis comprend (en rétablissant l’équivalence pour 2 litres de préparation) : 20 œufs, 1/4 de litre de vinaigre, 1/4 de litre d’eau, 1/4 de litre composé au 7/10ème d’huile et le reste d’essence.

Technique

Avant de réaliser un tableau, JD fait presque toujours un croquis plus ou moins précis, une esquisse colorée ou un dessin gouaché, et cela dès son époque Sérusier. dans la période puriste, utilisant le Nombre d’Or, il fait des études beaucoup plus poussées sur le papier avant d’entreprendre le travail sur la toile, et les marges des dessins sont pleins de rapports mathématiques. D’autre part, indépendamment des tableaux, il réalise aussi de nombreuses œuvres sur papier : collages, gouaches, encres, pastels, fusains « gommés ».

Vers le milieu des années cinquante, lorsqu’il revient à plus de spontanéité, il renonce complètement aux dessins préparatoires – sans pour autant cesser de dessiner. A l’origine d’un tableau, il y a toujours pour lui la nécessité de formuler quelque chose, mais désormais, cela s’exprime directement sur la toile de lin non préparée tendue sur le châssis : JD y trace quelques traits au fusain puis passe une couche d’enduit à la colle, et il reprend le dessin qui apparait par transparence. Ainsi, au cours des trois ou quatre couches de préparation que reçoit la toile, il précise davantage son trait, approfondissant son dessein à chaque étape. Lorsque l’ensemble est jugé satisfaisant, il indique les valeurs à l’aide de hachures faites à la craie et au fusain. C’est en général à cette phase qu’il prend une photographie qui servira dans le livre de raison. Après une dernière couche de « mayonnaise », il pose enfin la couleur à l’aide de brosses et de couteaux à peindre.

Il arrive qu’un dizaine de toile soient simultanément mises en œuvre, car le peintre entrecoupe délibérément son travail de tâches matérielles qu’il tient à exécuter lui-même : ainsi il tend la toile sur le châssis dont le format est choisi à chaque fois; il prépare l’enduit, la tempera et il broie soigneusement les poudres de couleur…

C’est durant ce long processus d’élaboration qui peut s’étaler sur plusieurs jours, parfois sur des semaines, que JD se « représente la couleur qui semble s’imposer d’elle-même, ses possibilités, sa nécessité émergeant comme naturellement du dessin. Très rarement, mais cela arrive aussi, l’origine du tableau se trouve dans un désir de couleur, et dans ce cas, c’est le graphisme – avec en général une grande importance du geste – qui apparît dans le second temps.

Sérusier Paul

Paris 1864- Morlaix 1927

Peintre et professeur (à l’académie Jullian et à l’ Académie Ranson), il est aussi le traducteur de l’ouvrage de Désidérius Lenz, alias Père Didier, l’esthétique de Beuron (Paris, bibliothèque de l’occident, 1905) et l’auteur de l’ABC de la peinture (Paris : la Douce France et henry Floury, 1921). Il entretient en outre une importante correspondance avec Maurice Denis, Jean Verkade, Paul Gauguin, Odilon Redon… reproduite en partie dans la deuxième et troisième édition de l’ABC (Paris, librairie Floury 1942 et 1950).

La découverte de JD durant l’été 1941 des peintures et surtout des écrits de Sérusier – mort 14 ans plus tôt – a une très grande portée sur son oeuvre (le nombre d’or, les deux palettes, – l’une pour les tons chauds, l’autre pour les tons froids -, la tempera, etc…) Si l’influence stylistique et formelle est de courte durée (18 mois au plus), l’emprise spirituelle du théoricien du nabisme subsistera toujours. Dans une note griffonnée par JD à Quimper en 1941, au dos de la liste des toiles qu’il expose dans le hall du garage Nédelec-Peugeot, il écrit :

« Dimanche 10 août […] Vu ces derniers jours Mme Sérusier à Châteauneuf-du-Faou. Elle nous a permis, avec Estienne, de retourner tout ce qui pouvait nous intéresser dans la peinture de son mari. Vu des trucs épatants qui m’ont donné grand courage et en même temps indiqué que je n’avais peut-être pas tout à fait tort de peindre comme je le fais. Évidemment; Sérusier n’a rien vendu de son vivant, j’aimerais mieux ne pas faire pareil. »

Et dans une lettre du 15 juin 1967 à Georges Richar :

« L’influence de Sérusier, moi si, je la remarque encore dans mes peintures récentes. Bien sûr ça donne autre chose, mais en profondeur, elle est là. »

Rêve éveillé (Le)

L’expérience du rêve éveillé à laquelle se soumet JD, sous le contrôle du docteur Jacques Deniau (son médecin depuis des années se déroule pendant une dizaine de séances de décembre 1962 à février 964.

« Le rêve éveillé dirigé, état intermédiaire et nuancé entre l’état de veille et l’état de sommeil, entre le « physiologique » et le « psychique » est, par essence, le reflet de ce réservoir inépuisable où le sujet a accumulé depuis sa naissance ses angoisses, ses craintes, ses désirs, ses espérances, lesquels demeurent, en tout état de cause et face au monde extérieur, les facteurs déterminants de son comportement. » [Robert Desoille Théorie et pratiques du rêve éveillé dirigé, Genève : Editions du Mont Blanc, 1961, p10]

Outre les conséquences bénéfiques pour lui-même, cette épreuve a des répercussions certaines sur son œuvre. Toute une série de peintures présentent des figures anthropomorphes, juste avant la cinquième et dernière période au cours de laquelle JD réalise la synthèse de ses recherches antérieures.

Lothaire, 63-34

Richar Georges

Ami et exécuteur testamentaire de JD qu’il rencontre à Gordes où il a, en 1954, acheté une tour carrée. Il s’intéresse à la peinture de JD surtout à la suite de l’exposition présentée en 1959 à la galerie de France, à Paris, où aucune exposition particulière du peintre n’a eu lieu depuis cinq ans. Témoin du dernier tiers de la création de JD, il se consacre à l’étude de son œuvre depuis de longues années. Après avoir publié le catalogue de l’œuvre gravé, et le catalogue raisonné de l’œuvre peint, il a signé des nombreuses préfaces de catalogues.