Enseignement

Après une première expérience menée à Paris à l’Académie Montmartre – dont Fernand Léger est le directeur – JD accepte en 1959 un poste de professeur à l’ AKademie der bildenden Künste de Münich. D’après le témoignage d’anciens élèves, son enseignement, plus proche de l’initiation que du cours magistral, relève de la maîeutique. « Ce n’était pas un professeur classique, plutôt un guide, un conseiller, un ami. »

« Auprès de Jean Deyrolle, la plupart de ses élèves se trouvaient dans des conditions très favorables, car ils sentaient que chez lui, la théorie et la pratique étaient parfaitement liées. Il s’occupait de chacun avec intensité et, si les discussions avaient lieu en groupe, il parlait en tête à tête à celui qu’il voyait dans une situation difficile. » (Gerhard Fröbel)

En fait, JD transmet, enrichie de sa propre expérience, le leçon de rigueur et de liberté de Paul Sérusier qui, vingt ans auparavant, l’a aidé à  trouver sa voie personnelle. Il essaient de faire découvrir à ses élèves leurs propres moyens d’expression, sans les influencer et sans leur imposer une doctrine quelconque. Contrairement au reste de l’académie (où les étudiants peignent presque toujours à la manière de leur professeur) il y a beaucoup de tendances esthétiques dans la classe de JD. pour la théorie des couleurs,il conseille l’étude du « cercle chromatique » cher au peintre nabi, plutôt que les systèmes plus récents élaborés par les théoriciens du Bauhaus, Johannes Itten ou Josef Albers. Bref, par son enseignement, JD dévoile une part essentielle du rapport du peintre à sa création :

« L’idéal serait qu’à la fin de leurs études, j’aie pu aider les élèves, non seulement à devenir des techniciens de la peinture, mais aussi des hommes si pénétrés de richesses de la nature, si disponibles à son observation, que son étude ne leur leur soit plus jamais un problème. (JD à Georges Adam 1952)

Gindertael (Roger Van, dit R.V.)

Critique d’art, il collabore à la revue Art d’Aujourd’hui avant d’entrer à Cimaise – dont il est le rédacteur en chef durant les deux premières années. Auteur de plusieurs monographies et de divers ouvrages (Nouvelle Situation, Propos sur la peinture actuelle), il participe en 1953, il écrit la préface de l’exposition JD à la galerie  Denise René.

« On peut être tenté parfois de compléter ce qui est inachevé, de faire le poids pour rétablir un équilibre instable, d’ajouter le décime qui manque à l’unité. Deyrolle ne nous consent pas cette participation. Lorsqu’il abandonne au spectateur son tableau, non seulement chacune de ses plus petites parties a trouvé sa place exacte et le juste rapport de forme, de surface et de ton qui la rend intimement solidaire de toutes les autres, mais leur accord a retrouvé l’unité singulière de la conception et a été mené à cette indivisible perfection  qui dit le dernier mot et emporte l’adhésion. Sans doute cette observation ne touche qu’un état « élémentaire » et serait banale si cet état n’était, en fait, si rare et si, dans ce cas particulier, il ne venait confirmer que Deyrolle possède le sens infaillible de la mesure dont la permanence à travers les plus aventureuses réinventions de la peinture a assuré, dans la lignée de ces grands artistes, une tradition française et la suprématie de cette tradition.

Geste (Le)

Pour JD, le geste n’est pas le fait de la seule main. Selon l’importance qu’il veut donner à une ligne ou à une forme, selon surtout le degré d’expressivité qu’il veut atteindre, il fait sortir son trait du blocage des doigts ou du poignet, du bras ou de l’épaule. Et lorsqu’il veut exprimer le maximum de plénitude, projetant tout son poids dans le tracé, c’est son corps entier qu’il fait participer.

Une série de photographies, prises en 1960 par Izis, Montre JD en train de travailler : Il tourne d’abord autour de la toile posée à même le sol de l’atelier, utilisant un chiffon, des brosses, des couteaux à peindre pour poser la couleur, avant de continuer sa besogne sur le chevalet. Pour Braque, le tableau devait effacer l’idée. Pour JD,  » le tableau se fait sur la toile ». C’est durant le travail, hic et nunc, que le peintre associe l’émotion, le raisonnement et la maîtrise physique. vers la fin des années cinquante, un graphisme où le geste est encore très perceptible, s’introduit dans les compositions comme un élément baroque, c’est-à-dire qu’il ne correspond plus forcément aux « formes », les contrariant même parfois. Mais plus généralement, dans ce jeu de traits labyrinthique, le caractère linéaire des lignes brisées qui qui se recoupent est en quelque sorte estompé par les images de plans qu’elles circonscrivent ainsi sur la toile au moyen de leur propre tracé. Ni ligne, ni surface, mais trace du geste conduit à la lisère de la forme et de la couleur, cette ambivalence engendre une étonnante légèreté de figure.

Formation et apprentissage

A 22 ans, ayant terminé des études de publicité, un diplôme en poche, JD répugne à s’engager immédiatement dans un métier. Il envisage de devenir peintre durant l’été 1932, et il commence à travailler en autodidacte. Sillonant la Cornouaille, il peint souvent en compagnie de sa cousine Jeannine Guillou. Il cherhce surtout à développer ses facultés d’observation. Lionel Floch, ancien élève de son grand-père Théophile Deyrolle, lui donne parfois quelques conseils lorsque JD passe à Pont-Croix, et aussi Jean Souverbie, en villégiature dans la région… En 1933, son premier envoi au Salon des Artistes Français est accepté : Il s’agit d’un tableau assez conventionnel intitulé « Les brûleurs de goémon »

Puis, il obtient une bourse  – avec disposition pour 2 mois d’un atelier à Rabat – et il part en novembre 1934 pour l’Afrique du Nord. Il y reste 4 ans. Epoque de « vagabondage » pour reprendre son expression, durant laquelle, parcourant le Maroc en tous sens, il pratique « pour commencer un impressionisme académique » (JD). Cependant les critiques d’alors lui reconnaissent une certaine personnalité, et sa peinture attire l’attention de quelques amateurs. Il fait une quinzaine d’expositions, vivant ainsi tant bien que mal de son art.

Il est à peu près certain que la confrontation, durant toutes ces années, avec le monde musulman et la calligraphie arabe aura une incidence sur son oeuvre ultérieure. Le voyage en Algérie avec Jeannine Guillou et Nicolas de Stael, au cours duquel ils travaillent ensemble et discutent beaucoup, a sans doute une certaine importance aussi.

En 1938, de retour à Concarneau, JD a changé. La peinture est devenue pour lui autre chose que « cette espèce de jeu »  (JD) qu’elle avait été jusque là. Après l’intermède de la « drôle de guerre » et sa démobilisation, il découvre en 1941 à Châteauneuf-du-Faou l’œuvre de Paul Sérusier, avec toutes les conséquences qui vont en découler. La grande aventure commence.

Estienne Charles

(Brest 1908 – Paris 1966)

Professeur d’histoire et de géographie, Estienne fait au printemps la connaissance de JD grâce à une de ses collègues professeur à Brest, Odile Vacherot, qu’il épouse quelques mois plus tard. Passionné de peinture, il se lie très vite d’amitié avec JD. Ensemble, ils découvrent en 1941 l’œuvre et  les écrits de Paul Sérusier. Trois ans plus tard, JD « passe la ligne » de l’abstraction ; il présente Estienne à Domela, à Lanskoy, à Magnelli, à Nicolas de Stael… Nommé à Paris, Charles Estienne tient alors la rubrique artistique de l’hebdomadaire de Henri Thomas, Terre des Hommes, pour lequel JD fait des illustrations afin de gagner un peu d’argent… Après la disparition du journal, Estienne entre à Combat; il collabore aussi à Art d’Aujourd’hui et à l’Observateur (plus tard France Observateur). C’est aux éditions de Beaune, dirigées par Suzanne de Coninck, que Charles Estienne fait paraitre en 1950 son Pamphlet L’art abstrait est-il un académisme ?, contribuant ainsi à déclencher la querelle du chaud et du froid. L’année suivante, il fait publier aux mêmes éditions l’ouvrage de Kandinsky, Du spirituel dans l’art.

Estienne et JD resteront très proches jusqu’au début des années cinquante, le critique d’art défendant par la suite la nouvelle tendance « tachiste »… JD participe à beaucoup d’expositions de groupe organisées par Estienne : « Peinture et poésie » à la galerie des Deux iles, « Peintures et sculptures abstraites » chez Colette Allendy, « Peinture de la nouelle école de Paris » à la galerie de Babylone, « la rose de l’insulte » à la Hune, « Perennité de l’art gaulois » au Musée pédagogique (en 1955)…

« Deyrolle est authentiquement abstrait, puisquʼil n’éprouve aucun besoin de partir des données extérieures du monde extérieur, et que, pour lui, le problème consiste à partir de données purement plastiques
pour aboutir à un fait plastique pur ; je précise, à un fait esthétique basé sur des éléments plastiques rigoureusement et strictement purs… Mais, entre ces deux pôles, il y a la gamme – infinie, au pied de la lettre –
des émotions et des sentiments que lʼon éprouve en étant au monde et dans le monde. Cʼen est assez, si lʼon peut dire, pour laisser à la porte les exercices de style et donner, à l’œuvre plastique, cette pluralité de signification, cette harmonie qui est celle des rythmes naturels, cette respiration enfin et cette sorte dʼaise où lʼon connait que Deyrolle est entré en possession et en maîtrise du domaine dʼart et de monde, quʼil a entrepris de défricher… ” [“ Jean Deyrolle ou la
continuité de la Peinture ”, Art dʼAujourdhui, avril-mai 1951.

Domela César

Peintre abstrait né le 15 janvier 1900 à Amsterdam. JD fait sa connaissance en 1942 chez Jeanne Bucher qui, malgré l’occupation allemande, montre parfois des peinture abstraites dans sa galerie du Boulevard du Montparnasse. (l’art abstrait, considéré comme « art dégénéré » par les nazis, est complètement interdit).

JD alors influencé par Roger de La Fresnaye, par Braque et par Marcoussis, est très préoccupé par les recherches picturales. Encore dépendant de la représentation de l’objet, il voudrait en modifiant son aspect naturaliste, lui faire exprimer quelque chose qui lui semble plus important que la réalité. Domela lui ouvre sa bibliothèque et lui prête le « Manuscrit de 1929 ». Il s’agit d’une trentaine de photographies, de quelques schémas et de quatre pages de textes sur le point, la ligne et la surface – résumé de son expérience lorsqu’il  participait activement au mouvement De Stijl. JD apprend ainsi comment il est possible, en partant des objets du monde extérieur, de tirer des rythmes plastiques qui les synthétisent: il commence à se dégager de la figuration.

Degand Odile, née Vacherot

Condisciple de JD à l’école « Art et Publicité », amie et témoin attentif de l’homme et de son oeuvre depuis les années trente. jeune enseignante à Brest en 1938, elle présente à JD Charles Estienne -avec qui elle se marie en septembre. Elle expose avec JD à Bourges, Galerie Jacquet, en juin 1942. deux ans après son divorce prononcé en 1948, Odile épouse le critique Léon degand, décédé en 1958. Elle achète alors, non loin de l’atelier de JD, une maison à Gordes où elle séjournera jusqu’à sa mort en 2010 (?)

Degand (Frédéric Noël dit Léon)

(Gand 1907- Paris 1958)

Critique d’art à l’hebdomadaire Les lettres françaises dès la fin de 1944, il cesse d’y collaborer lorsque  le PCF s’assure la direction exclusive du journal. Son dernier article parait dans le numéro du 1er août 1947. Après avoir pendant plus d’un an organisé le Musée d’Art Moderne de Sao Paulo, Degand revient en France à la fin de l’été 1949, et entre au comité directeur de la revue Art d’Aujourd’hui à laquelle il collabore régulièrement jusqu’à sa mort.

Il publie plusieurs textes sur Jean Deyrolle :

« La peinture de Deyrolle surprend d’abord par sa discrétion. Elle n’arrache pas l’adhésion. Elle la sollicite à peine. Elle la conduit, avec une patience soutenue et une science étonnante des moyens d’action, au plus haut degré d’intensité et elle l’y maintient ferme. De vaste ou de modeste format, elle est d’une amitié sûre et durable. Elle n’abuse jamais de notre faiblesse. Elle  répugne aux faux semblants. Si elle ne se livre entièrement qu’à la longue, même au spectateur le plus averti, ce n’est pas par défaut de clarté – rien n’est au contraire plus explicite – mais à cause de sa véritable richesse. Ce n’est pas une peinture de coup de tête pour amateurs distraits. Mais de la grande peinture, et qui exige, pour être appréciée, d’être regardée comme telle ». Aujourd’hui, mars 1956

Daguerre

En mars 1942, JD quitte Concarneau où il se sent très isolé et revient à Paris dix ans après avoir terminé ses études. dans le XIVième arrondissement, il loue un local dans une cité d’artisans, 63, rue Daguerre. Dans cette grande pièce d’environ 7 mètres sur 7, il installe un atelier et un coin pour dormir, installant aussi un poêle à charbon pour l’hiver. Pendant plus d’une quinzaine d’années il vit et travaille dans ce lieu au confort rudimentaire.

Ses camarades, d’ailleurs, ne sont pas mieux lotis, personne n’a le téléphone, et encore moins de voiture. Tous les jeudis en fin de journée, JD reçoit ses amis peintres et critiques; parmi les habitués : Atlan, Huguette Arthur-Bertrand, Odile et Léon Degand, Dumistresco et Istrati, Charles Estienne, Babet et Emile Gilioli, Robert Jacobsen, les Leppien, Les Poliakoff, Nicolas de stael et Jeannine Guillou… Un autre jour c’est Atlan  qui reçoit dans son atelier de la rue de la Grande Chaumière. Des réunions ont lieu  aussi rue Nolet chez Jeannine et Nicolas de Stael. Tous les samedis, les peintres abstraits se retrouvent rue de la Boétie à la galerie Denise René, puis, tout en discutant, le groupe va dîner rue Duvivier, dans un petit restaurant du VIIème arrondissement.

Concarneau

L’arrière grand-père de JD, Étienne Guillou, dit « Le Pilote » (1818-1887), personnage important et pittoresque, fait construire sur le quai Pénéroff (aujourd’hui avenue du Docteur Pierre Nicolas) à Concarneau, une maison de bois peinte en rouge et vert dans le style de Bergen (car il est aussi vice-consul de Suède et de Norvège).

après la mort de son père, JD va habiter dans cette maison – remplie de peinture et de souvenirs ramenés par les voyageurs de la famille – chez sa grand-mère Suzanne qui vient de perdre son mari, le peintre Théophile Deyrolle. C’est elle, désormais, qui s’occupe seule de l’entreprise de viviers et de parcs à huîtres créée par son père, le Pilote. Âgé alors de 14 ans , JD fait ses études primaires à Concarneau. Il a de nombreux cousins et cousines, mais c’est d’une nièce de sa grand-mère, Jeannine Guillou, du même âge que lui, qu’il se sent le plus proche.

Aujourd’hui, « la maison de bois »   appartient encore à la famille du peintre, au rez de chaussée, elle y accueille la Galerie Gloux.

L’atelier du troisième étage ou travailla JD entre 1938 et 1942 existe toujours.